mardi 12 mars 2013

Réforme du congé parental : arrêtez le massacre !!!

Je vous l'avais dit, ce blog tourne au défouloir (pour moi) et à la tribune politique. Ben tant pis. J'assume.

Alors, quel est donc le sujet de mon ire, en cette heure tardive du 11 mars (ou plutôt matinale du 12 mars) ???
J'ai écouté d'une oreille très distraite, vendredi dernier, journée de la femme, la dernière sortie de notre président de la république à propos des droits des femmes.
Figurez-vous que Najat Vallaud-Belkacem et lui nous ont concocté une réforme du congé parental d'éducation pas piquée des vers.
En gros, ils pensent que comme le congé parental est pris à 96% par des femmes, c'est la marque d'une inégalité criante entre les femmes et les hommes, parce que du coup, ça éloigne les femmes de l'emploi pendant au bas mot 3 ans, et qu'en plus, ce sont elles qui se retrouvent à faire tout à la maison (entendre par là s'occuper des enfants, faire les courses, le ménage, la vaisselle, la lessive, le repassage, sortir les poubelles, etc.).
Soit. En fait, c'est tout à fait vrai.
Mais le problème, c'est la réponse qu'entend donner notre gouvernement à cet état de fait pour rétablir l'égalité entre les hommes et les femmes.

Pour être plus claire, je vais d'abord exposer ce qui existe actuellement, parce que ça fait toujours du bien de faire un point de l'existant, et ensuite, on parlera de cette magnifique réforme.
Aujourd'hui, quand un couple a un deuxième enfant (pour le premier, le congé parental se limite à six mois maximum pour la mère ou le père), il a le choix entre plusieurs options :
- soit la femme arrête de travailler pour s'occuper de son bébé, à temps plein ou à temps partiel, pendant un an renouvelable deux fois, dans la limite des trois ans de l'enfant. Ça s'appelle dans ce cas-là le CLCA : Congé de Libre Choix d'Activité, rémunéré 566€ par mois au maximum pour un congé à temps plein.
- soit la femme arrête de travailler pour s'occuper de son bébé pendant au maximum un an, et le congé est mieux rémunéré que le précédent : il s'agit du COLCA, Congé Optionnel de Libre Choix d'Activité (700 € par mois pendant un an au lieu de 566 € par mois pendant trois ans).
- soit le père prend le congé parental aux mêmes conditions que si c'est la mère qui le fait (CLCA ou COLCA).
Le choix est définitif, on ne peut pas passer du CLCA au COLCA, ni du COLCA au CLCA.
- soit les parents continuent de travailler tous les deux, et dans ce cas-là (ou dans le cas d'un congé parental à temps partiel), ils peuvent bénéficier du CLCMG, Complément de Libre Choix du Mode de Garde, permettant de financer une partie des frais de garde pour le bébé (crèche, nourrice ou garde à domicile).

Dans tous les cas, ils sont souverains pour le choix. En réalité, dans beaucoup de cas, les choses se décident souvent au mieux des finances de la famille. Il n'y a pas de mystère : s'arrêter de travailler quand on a des enfants n'est pas forcément possible. Donc un certain nombre de femmes choisissent de continuer leur activité professionnelle parce qu'elles gagnent plus d'argent en travaillant qu'en restant à la maison (logique, me direz-vous).
Le problème se pose souvent lorsque viennent se greffer là-dessus les questions de garde d'enfant. Toutes les familles n'ont pas à leur disposition une grand-mère qui peut s'occuper des enfants en bas-âge, ou les moyens de s'offrir une jeune fille au pair ou une garde d'enfants à domicile. Et il manque énormément de places en crèche ou chez les nourrices pour permettre aux femmes de travailler. Donc beaucoup arrêtent simplement de travailler jusqu'à l'entrée de l'enfant à l'école, tout simplement parce qu'elles ne peuvent pas faire autrement.
Une autre question se pose : pourquoi, à votre avis, ce sont les femmes qui prennent majoritairement ce congé parental ? La plupart du temps pour plusieurs raisons, allant de l'absence de fibre maternelle chez le père (oui, c'est étonnant, hein ?), au fait que c'est souvent le père qui a le plus gros salaire, et donc que si c'est lui qui prend le congé parental, alors la perte nette de revenu est plus grande que si c'est la mère, en passant par le fait que les pères sont peu informés du fait qu'ils peuvent, eux aussi, bénéficier d'un congé parental, ou que de nombreuses femmes ont simplement envie de s'occuper de leurs enfants tout petits ou tout aussi simplement que les bébés ont besoin de leur mère plus que de leur père dans les premières années de leur vie (c'est pas moi qui le dis, ce sont des données statistiques : un bébé a plus besoin de sa mère quand il est tout petit, et plus besoin de son père un peu plus tard, pour diverses raisons là encore).

Mais bon, quelles que soient les raisons, le congé parental a quand même un certain nombre d'avantages pour les mères. Il permet de limiter drastiquement les frais annexes, liés par exemple à la cantine (pour le(s) plus grand(s) des enfants par exemple, puisque la mère est à la maison), ou encore diminue les frais de transport pour aller travailler (la nourrice n'habite pas forcément la maison d'à côté, certaines mamans sont obligées de faire plusieurs dizaines de kilomètres parfois pour déposer leur bébé chez la nounou si elles n'ont pas trouvé plus près, notamment dans certains villages. Parce que non, M. Hollande, tout le monde n'habite pas en ville, et encore moins à Paris). Au final, ce que l'on perd d'un côté, on le « gagne » de l'autre en dépenses que l'on n'a pas, ou plus, ou moins.

Voilà, en gros, pour l'existant.

Alors que propose le gouvernement pour cette nouvelle réforme ?
Tout simplement de réduire pour toutes les familles le congé parental à deux ans et demi, en le rémunérant mieux (40% à 60% du salaire, dans la limite de 1500 à 1800€ par mois), et surtout d'obliger le père à prendre six mois de congé parental.
Fort bien.
Alors examinons plusieurs cas d'espèces.

Une famille avec deux enfants, par exemple, dont un nourrisson. Après le congé maternité, la mère, qui travaille à mi-temps et est payée au SMIC, prend un congé parental. Actuellement, elle gagne 566€ pendant trois ans, sans frais de garde supplémentaires.
Après la réforme, elle ne gagne pas beaucoup plus que 500€, pendant deux ans et demi, puis doit reprendre le travail. Son mari, lui, travaille à temps plein, il est un peu mieux payé. S'il s'arrête de travailler pour s'occuper du bébé, il ne gagnera pas plus de 40 à 60% de son salaire, ce qui fait une perte nette importante, et sa femme travaillera toujours à mi-temps au SMIC. Financièrement, ce n'est pas du tout intéressant pour cette famille. Le père ne pourra donc pas prendre ce congé parental, sinon sa famille risque tout simplement de ne plus s'en sortir, alors qu'elle s'en sort à peu près dans le système actuel. Au final, c'est quand même la mère qui sera obligée d'arrêter de travailler, sans compensation financière cette fois, contrairement au congé parental de 3 ans qui lui assure quand même 566€ par mois.

Deuxième cas de figure : La maman est salariée dans le privée, le père travailleur indépendant, agriculteur ou éleveur par exemple (ou viticulteur, on s'approche encore plus de notre cas).
Actuellement, le mari gagne peu, crise oblige, la maman travaille à mi-temps parce qu'ils ont déjà trois enfants et que le père est obligé de partir en déplacements professionnels pour vendre sa production. Il ne peut compter que sur lui-même et n'a déjà pas pu prendre les 11 jours de paternité auxquels il a pourtant droit depuis 2004 et la dernière réforme du congé parental. À la naissance du quatrième enfant, ils ont prévu que la maman resterait à la maison s'occuper des enfants, notamment du dernier qui, bien sûr, ne va pas encore à l'école, et pour cause. La perte nette de salaire de la maman, qui gagne bien sa vie pour un mi-temps, est de 450€ environ, compensée en partie par les allocations familiales qui s'ajoutent pour le 4e (PAJE, Prestation d'Accueil du Jeune Enfant, accordée sous conditions de ressources). Cela va être juste tous les mois, mais la famille s'en sortira quand même parce que justement, les frais « fixes » (cantine, garderie, transports en train pour aller travailler et frais d'essence) vont diminuer de manière importante.
Si la réforme est appliquée, la maman voit son congé parental réduit à deux ans et demi, rémunérés maximum 600€, puisque son salaire est de 1000€ par mois, soit 44€ de plus que dans l'autre cas.
Au bout de ce temps, elle retourne travailler, avec 1000€ par mois toujours, mais 100€ de train, sans compter la garderie et la cantine qu'il faudra rajouter (pour la cantine uniquement, il faut compter chez nous 187 € pour 10 repas pour chacun des trois enfants. Sachant qu'il y a 4 repas par semaine, je vous laisse faire le compte pour le mois). Je doute que le calcul soit favorable à la famille, s'il faut payer en plus une nourrice pour le dernier qui ne peut pas encore aller à l'école.
Ah mais non ! Puisque le papa va, lui, s'arrêter de travailler pour s'occuper des enfants pendant six mois !
Oui, mais non. Parce que le papa, s'il s'arrête de travailler, il peut tout simplement fermer boutique. Il est viticulteur, et ses vignes et son vin ont besoin de lui. Ou bien il est éleveur. Qui va traire les vaches ? Ou encore, il est infirmier libéral. Sa clientèle va partir ailleurs et ne reviendra peut-être pas, il va lui falloir tout recommencer. Ou encore il est chef d'entreprise et ses fournisseurs et clients n'attendront pas six mois, ni même trois et iront voir ailleurs si l'herbe est plus verte. Dans tous les cas, s'arrêter, même trois mois, met en danger l'entreprise, l'exploitation, l'élevage, le cabinet libéral.
Donc, concrètement, comme le père ne peut pas se permettre de prendre ce congé parental de six mois, cela réduit le temps de présence des parents auprès du plus jeune enfant (et les mauvaises langues diront que ça réduit aussi de six mois le temps d'indemnisation : autant de gagné pour les caisses de l’État, non ? Mais ça, bien sûr, ce sont les mauvaises langues seulement qui le disent).  Et ce n'est pas du tout une question de machisme ou d'inégalité entre hommes et femmes, mais de réalité économique et financière.

Ça, c'est pour l'aspect purement pratique et financier.
Alors on pourrait jouer sur d'autres leviers : permettre aux femmes d'avoir le même salaire que les hommes pour le même travail. Ça permettrait d'éviter cet effet du « je gagne moins, donc on perd moins si je reste à la maison ». Le gouvernement y travaille, bien sûr, et c'est tant mieux. Mais est-ce que c'est réaliste ? En tout cas, ça ne concernera que les personnes salariées, jamais ceux et celles qui sont indépendants, par exemple. On pourrait aussi repenser complètement les modes de garde pour les enfants, histoire de lever un des plus gros frein à la reprise précoce du travail des femmes. Pour cela, il faudrait quand même investir sérieusement dans la formation des professionnels de la petite enfance, et dans la création des structures d'accueil nécessaires pour accueillir tous les enfants. Le gouvernement en a-t-il les moyens ?

Mais même en dehors de tout ça, il y a quelque chose qui me choque profondément dans cette réforme annoncée du congé parental : l'ingérence du gouvernement dans les choix de vie des couples.
Pour la naissance de Noémi, en 2002, il n'y avait pas de congé parental (c'était avant la réforme qui a instauré les six mois de congé parental pour le premier enfant). Pour des questions de garde, j'ai quand même réduit mon activité à 80%, pour pouvoir être à la maison une journée complète avec mon bébé. Parce que c'est bien beau, le travail quand on a des enfants. Mais concrètement, laisser un bébé de 3 mois à une nourrice de 7h30 le matin à 18h30 le soir, minimum, c'est quand même difficile, autant pour la maman que pour le bébé. Mais à l'époque, bien sûr, nous avons pensé que c'était la meilleure solution pour tout le monde, bébé et parents. Aujourd'hui, nous savons que Noémi a des soucis importants, dont une partie peut largement être imputée à mon absence dans ses premières années.

Quand Nathanaël est né, en 2004, j'avais décidé de rester à 80%, et Jean-Luc, mon mari, travaillait à mi-temps comme ouvrier chez un viticulteur et à mi-temps sur l'exploitation familiale. La première nourrice ayant démissionné un mois avant ma reprise du travail, il a fallu trouver une nourrice d'urgence, ce qui n'a pas été simple compte-tenu de la pénurie d'assistantes maternelles chez nous. On a fini par trouver, mais un mois après, notre bébé a eu de graves problèmes de santé, et elle a aussi démissionné, ne se sentant pas à la hauteur pour assumer la garde d'un enfant aussi malade (ce que je peux tout à fait comprendre). Bilan des courses : au bout d'un mois, j'ai demandé à mon employeur de transformer mon congé parental à 20% en congé parental à 50% et Jean-Luc a pris un mi-temps (sur son mi-temps salarié) pour s'occuper de Nathanaël les jours où j'allais travailler. Je vous passe les détails de nos déboires administratifs avec la CAF, là aussi, c'était « coton »...

En 2006, à l'arrivée de Rébecca, je n'ai pas changé mon temps de travail, j'ai continué à 50%, toujours en congé parental, et Jean-Luc aussi, pendant quelques mois, avant de reprendre à temps plein, non pas parce que son contrat chez le viticulteur était arrivé à terme ou parce qu'il avait été viré, mais parce qu'il n'avait pas le choix, à cause du développement de l'entreprise familiale qui lui réclamait plus que 3 jours de travail dans la semaine. C'est aussi à ce moment-là que ses déplacements se sont multipliés, m'obligeant à jongler avec mes jours de travail et ceux de mes collègues pour assurer le service les jours où mon mari était à la maison et pouvoir être là quand il était parti.
Et globalement, ça s'est toujours bien passé, au niveau de l'organisation du moins.

Quand Rébecca a eu 3 ans, j'ai voulu reprendre le travail à 70%, soit trois jours par semaine, ce qui s'est révélé être impossible au niveau de l'organisation familiale, à cause des déplacements de Jean-Luc. Je suis donc revenue à 50% après quelques mois d'essais infructueux. Sans m'en porter plus mal d'ailleurs.
Mais ce qui a été formidable dans toutes ces évolutions de nos temps de travail respectifs, c'est que nous avons toujours eu le choix, et toujours pu nous adapter aux besoins particuliers de nos enfants. Jamais je ne me suis sentie obligée de faire quoi que ce soit. Jusqu'à présent, j'ai toujours préféré continuer de travailler, même à temps partiel. Et Jean-Luc a toujours assuré l'éducation et la garde des enfants en fonction de ses possibilités. Nous avons donc toujours pratiqué le "partage des tâches".

Là, si la réforme passe, ça va être plus compliqué.

BB4 naîtra en juin. La reprise ne sera pas simple. En un an, le service documentaire aura connu un changement de logiciel documentaire, un renouvellement du matériel informatique et un nouveau thésaurus. Soit, pour moi, l'obligation d'une formation professionnelle complémentaire de plusieurs semaines (voire plusieurs mois à cause de la complexité des logiciels documentaires). Cette formation, je devrai la suivre quoi qu'il arrive, que je m'arrête un, deux ou trois ans, puisqu'il s'agit d'une mise à niveau indispensable pour maîtriser le nouveau matériel. Donc la reprise du travail ne sera pas plus simple dans mon cas, que je reprenne le travail au bout de deux ans et demi ou de trois ans.
Mais surtout, je n'aurai plus le choix. Et ça, ça m'horripile.
Ce que veut faire le gouvernement est louable dans les intentions affichées, mais va aboutir à moins de liberté pour les couples et les familles, et va mécaniquement augmenter un certain nombre de problèmes déjà ennuyeux :

- Si les femmes reprennent toutes leur travail au bout de deux ans et demi, et même si une bonne partie des hommes prennent les 6 mois suivants de congé parental, il va falloir trouver des milliers de places en crèches ou chez des nourrices pour s'occuper des enfants trop jeunes pour aller à l'école. Or il manque déjà beaucoup de places. Alors on fait quoi ? On les laisse seuls ?

- Si les familles ne peuvent pas trouver de mode de garde pour leurs enfants, alors elles auront deux options : soit ne pas avoir d'autres enfants, soit, vraisemblablement pour les femmes en majorité, arrêter purement et simplement de travailler pour pouvoir s'occuper des enfants, mais cette fois sans compensation financière. Du coup, on va assister à une plus grande paupérisation des familles. Parce qu'il ne faut pas se leurrer : celles qui vont devoir s'arrêter de travailler ne sont pas celles qui gagneront le plus d'argent. Elles, elles auront toujours les moyens de s'offrir une garde d'enfants à domicile ou une jeune fille au pair. Et on va donc augmenter encore les inégalités.

- Et puis, ça m'horripile encore d'imaginer que le gouvernement va m'obliger à faire quelque chose que je n'ai pas envie de faire. J'ai envie, pour une fois, de penser au bébé à venir, de m'occuper de lui, de prendre le temps de le voir tous les jours, sans stress. J'ai envie de le materner, de le voir grandir. Cela fait près de 15 ans que je travaille au même endroit, j'ai envie de faire une pause, trois ans, ça me paraît bien, pour pouvoir mener à bien d'autres projets que je ne peux pas monter parce que mon temps de travail et les charges de famille ne me le permettent pas actuellement. J'ai envie de m'épanouir dans autre chose que mon métier, même si ce n'est qu'une parenthèse dans ma vie. Au nom de quoi le gouvernement peut-il me l'interdire ? Au nom de quoi une ministre soi-disant des droits des femmes peut-elle décider à ma place et à la place de mon couple de ce qui est bon pour moi et ma famille ? Et si ça me plaît, à moi, de mitonner de bons petits plats pour mes enfants et mon mari ? Et si ça me plaît de passer plus de temps avec mes enfants ? Au nom de quoi Najat Vallaud-Belkacem peut-elle prétendre savoir mieux que moi ce qui me permettra de m'épanouir en tant que mère, qu'épouse, et surtout, en tant que femme ? Sommes-nous encore, oui ou non, au pays des Droits de l'homme, qui a, si je ne m'abuse, pour devise, « Liberté, Égalité, Fraternité » ?

Voilà, vous savez tout ou presque sur mon coup de gueule du jour. Une fois de plus, c'est un très long billet, mais vous me connaissez maintenant ! Je suis incorrigible de ce point de vue. Faudra vous y faire !

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